McLaren, épouvantail de la F1 du futur
Si Ron Dennis avait pris du recul par rapport à son écurie de Formule Un, en 2003 lorsqu’il se concentrait sur la création du projet pharaonique baptisé McLaren Technology Centre puis Paragon – nouveau quartier général du McLaren Group qui a reçu diverses distinctions – le patron de la formation de Woking est bel et bien de retour aux affaires depuis deux saisons, et sa présence se fait sentir à tous les niveaux : sportif et marketing, coups de gouvernail au quotidien.
L’enrôlement de Juan Pablo Montoya portait sa griffe, ceux de Vodafone – qu’il a arraché à Ferrari, Maranello ayant donné sa préférence à Marlboro – et de Fernando Alonso sont le sommet d’une pyramide qui tremblait sur ses bases il y a peu. Le départ d’Adrian Newey passera rapidement dans les pertes et profits même s’il reste l’essentiel du travail à accomplir : redonner à McLaren et Mercedes un titre mondial qui les fuit depuis 1999. Privée de couronne mondiale depuis six ans et grande perdante de l’exercice 2005, McLaren fait désormais figure d’épouvantail ; seule la Scuderia Ferrari – et Toyota ou Honda dans une moindre mesure – semblent en mesure de placer des embûches sur la route du rouleau compresseur de Woking.
Ron Dennis a tenu à annoncer la bonne nouvelle du recrutement du champion du monde en titre plus d’un an avant l’heure, comme il l’avait fait pour Montoya et Vodafone. Une marque de fabrique de l’ancien mécanicien, qui permet à son entreprise et à ses partenaires de surfer sur la vague du marketing en coupant l’herbe sous les pieds de ses adversaires. L’exploitation du titre mondial d’Alonso par Renault aura désormais un goût amer. Avec la fuite de Fernando chez l’ennemi, l’image subit déjà la patine du temps, un an à l’avance et seulement une semaine après la remise des prix de la FIA à Monaco. Dans l’esprit des gens Alonso est désormais en gris, et il y a fort à parier que l’Asturien sera harcelé de questions sur sa saison 2007, et non 2006, dès qu’il fera une apparition publique, et dans le paddock de Bahreïn, théâtre de la manche inaugurale du prochain championnat.
Le parallèle Schumacher/Alonso
Comment et pourquoi Fernando Alonso a-t-il décidé de quitter le RenaultF1 Team, qui lui a permis de concrétiser son rêve d’enfant, devenir champion du monde de Formule Un ? Quelle que soit la réponse, elle ne plaide pas en faveur du losange, qui a réussi la quadrature du cercle en détrônant doublement le cheval cabré en 2005.
Avec sa double casquette de manager d’Alonso et de directeur général de RenaultF1, Flavio Briatore affirme ne pas avoir pris part aux négociations entre son poulain et l’écurie de Woking. Ce qui ne signifie pas qu’il n’était pas au courant, et qu’il aurait pu jouer le rôle d’un cheval de Troie passif. L’aveu de Briatore est lourd de sens. Face aux avances de McLaren, Renault – et en tous cas son directeur – n’ignorait pas qu’elle devait s’aligner sur les émoluments proposés à son champion. Elle n’a pu rivaliser avec McLaren, tout comme cette dernière n’avait pu proposer une alternative à Ferrari à Michael Schumacher à la fin 1995. Briatore et Renault n’ont jamais eu pour politique de négocier des revenus à la hausse, quelle que soit la valeur du dissident, et ne peuvent se le permettre. Renault jongle avec le 5è ou 6è budget de la Formule Un. L’antenne d’Enstone est totalement autonome financièrement parlant, son fonctionnement étant assuré par ses partenaires, Mild Seven et Telefonica. Dans leur esprit, un membre qui pense à quitter le giron Renault en est déjà parti. A ce sujet, l’épisode Mike Gascoyne fut édifiant. Fin 2004, dès l’instant où Trulli a voulu s’émanciper du management de Briatore, l’Italien est soudainement tombé en disgrâce.
Trulli et Schumacher, deux exemples qui résument la situation et l’état d’esprit d’Alonso au sortir de son couronnement. A l’image de l’Italien, Fernando a légitimement voulu revoir son salaire à la hausse. Prestige de la couronne mondiale oblige. Sans tomber dans l’un des sept péchés capitaux, le natif d’Oviedo estime que sa valeur marchande doit refléter sa valeur en piste. Payé $6 millions en 2005, Alonso ne pouvait accepter de stagner et de concéder un facteur 4 à Schumacher, qu’il fut le premier à faire trébucher. Gêné aux entournures, Flavio savait qu’il ne pouvait marcher sur ce terrain miné à l’avance par le tiroir caisse Renault. Le départ d’Alonso n’est pas pour autant une motion de censure à l’égard du sémillant italien, qui était pieds et poings liés.
L’avenir de Renault en F1
La fuite d’Alonso est en revanche une défiance pour Renault. Le deuxième constructeur français n’a pas su conserver son champion, et traînera cette image comme une casserole tout au long de la saison 2006. A des raisons financières, s’ajoute également une incertitude quant au projet sportif du losange. Renault Sport fait des coupes claires dans son budget courses. Les formules de promotion, World Series by Renault et Coupe Mégane Trophy sont de grands succès populaires, mais des investissements à fonds perdus : l’accès gratuit aux tribunes et aux paddocks a drainé les foules en 2005, mais n’a aucune retombée en terme de vente. Pire, en Espagne, les ventes de Renault sont en régression de 3% malgré la Alonsomania. Un livre comptable que le nouveau président de Renault et apôtre du cartésianisme, Carlos Ghosn, ne peut cautionner.
Le projet F1 est lui-même dans la balance. Le parallèle Alonso/Schumacher prend ici toute sa dimension : l’Allemand avait quitté Benetton persuadé que l’écurie était à bout de souffle et qu’elle ne pourrait lui garantir un avenir doré. L’histoire lui a donné raison. Alonso s’est retrouvé pris dans la même tourmente. Les considérations économiques de Renault ne l’intéressent pas. McLaren représente l’avenir, Renault ne peut en dire autant, elle qui a de tout temps cultivé le retrait de la compétition dès lors qu’elle avait atteint ses objectifs, comme ce fut le cas en 1997, et de manière plus douloureuse au milieu des années 80, après qu’elle ait imposé le moteur turbo comme la référence, sans pouvoir régner sur la F1 pour autant – la faute à certains sous-traitants indélicats qui ont plombé la chevauchée de Prost, et à BMW, qui utilisait en 1983 un carburant non conforme. Renault n’a pas à rougir. Il fut le précurseur numéro Un de tous les Constructeurs, sur routes comme sur circuit : concepts de la voiture familiale (Espace), de la petite voiture urbaine (Clio), du turbo et du V10.
Dans ce cadre de figure, le départ d’Alonso de Renault fin 2006 n’est pas une surprise. L’étonnement est venu de la précocité de l’annonce, savamment orchestrée par Ron Dennis, qui a donné une leçon de communication au constructeur français, coupable de n’avoir pas su capitaliser sur son champion du monde, qu’il n’a jamais maîtrisé. Fernando a refusé de participer à la Course des Champions au stade de France, il a, à plusieurs reprises, fait volte-face au dernier moment en refusant d’honorer de sa présence certaines opérations de relations publiques.
Sur le volet commercial, Renault est dans l’œil du cyclone. Mild Seven pliera bagage à la fin 2006 et Telefonica – qui s’est désengagé du MotoGP – ne sera pas séduit par une écurie qu’elle considèrera comme une coquille vide une fois qu’Alonso aura déserté. Le château de cartes s’effondre-t-il pour autant ? Rien n’est moins sûr. Renault pourrait redevenir un motoriste partenaire d’une écurie de pointe, après avoir vendu ses infrastructures d’Enstone – David Richards, ex patron de Benetton et BAR Honda, se tient prêt, le chéquier à la main. Tout dépendra des négociations entre les Constructeurs et Bernie Ecclestone. Si ce dernier consent à reverser 70% des retombées commerciales de la F1 aux grands groupes automobiles et à leurs écuries associées, le département RenaultF1 sera en position de force au sein de l’entreprise : la F1 ne lui coûtera plus une fortune et le ratio publicité/investissements repassera au dessus de un. Si la F1 parvient à véhiculer l’image d’excellence des constructeurs à moindre coût, ces derniers pérenniseront la F1. Le bras de fer entre l’homme à la chevelure argentée et au portefeuille en platine est engagé.
Qui chez McLaren aux côtés d’Alonso ?
Lorsqu’il a déclaré qu’il envisageait de rouler pour Renault en 2007, Giancarlo Fisichella a suscité la moquerie. Avec Alonso et Kovalainen – nouveau protégé de Briatore – la candidature du Romain paraissait vouée à l’échec. Sans être dans le secret des Dieux, Giancarlo savait pourtant de quoi il retournait : Alonso distillait des signes forts d’un départ imminent et Giancarlo se devait de planter un jalon, pour affirmer sa fidélité à Renault, qui est intervenue au bon moment et en contrepoint du départ de Fernando.
Chez McLaren la donne est différente. Avec Alonso, Räikkönen et Montoya, Ron Dennis possède trois des cinq plus grosses pointures de la Formule Un. Pléthore de talents ne nuit pas. Paradoxalement, le seul des trois qui ne décochera pas une flèche d’argent en 2006 est le seul certain de piloter pour les gris en 2007 et au-delà. Contrairement à d’autres patrons d’écurie, Dennis recherche le conflit en piste, ou plutôt la synergie, avec pour idée directrice que de la confrontation de deux stars au sein de la même écurie naîtra le succès de son entreprise. L’ère Prost/Senna a montré la voie (15 victoires en 16 courses en 1988). Un tandem Räikkönen/Alonso serait dans la droite ligne des glorieux aînés.
Mais Ron Dennis a voulu également se prémunir d’un éventuel départ de Räikkönen, seul pilote qu’il pense capable de régner sur la F1 avec Alonso. Kimi – dont le contrat McLaren arrivera à terme à la fin de l’année prochaine – a cependant clairement fait entendre qu’il attendra la mi-saison 2006 avant de faire son choix : Ferrari ou McLaren, ou encore Toyota, dont la montée en puissance ne laisse pas indifférents les meilleurs acteurs de la F1. Au mieux Dennis alignera une dream team Räikkönen/Alonso en 2007, au pire un duo Alonso/Montoya. On a connu pire !
De
http://www.gp2005.com