Forcer le respect des piranhas
Entretien exclusif avec Eric Boullier, remplaçant de Briatore à la tête du Renault F1 TeamSPA -
En huit mois à la tête du Renault F1 Team, le Français Eric Boullier a gagné en crédit. À l’image d’une écurie franco-luxembourgeoise remise sur de bons rails et en plein redressement.Eric, votre défi en F1 est-il plus au moins dur que prévu ?Cela correspond à ce à quoi je m’attendais. On s’est attaqué à un gros chantier après le tremblement de terre de 2009. Mon boulot est de reconstruire le team sur des bases solides et durables. Faire comme Brawn en gagnant tout une année avant de retomber la saison suivante ne m’intéresse pas. Renault a été champion du monde en 2005 et 2006 avant de terminer 8e en 2009. On ne peut pas détruire une équipe en trois ans. Les compétences sont toujours là. Ils savent construire une auto compétitive.
Qu’est ce qui a changé ?Le management, la façon de travailler et les pilotes. En partant fin 2006 et en revenant en 2008 parce qu’il ne se plaisait pas chez McLaren et ne pouvait aller de suite chez Ferrari, Fernando Alonso a provoqué pour moi la chute de l’écurie. Il n’était plus trop motivé d’investir dans une équipe qu’il savait qu’il allait quitter. Notre rôle a d’abord été de redonner confiance à tout le monde en s’engageant sur du moyen-long terme. L’équipe s’est bien réadaptée à l’après crashgate. Mon rôle a été d’être présent. Je me suis immergé dans l’écurie. J’ai pris un hôtel près d’Enstone et je suis là tous les jours, abordable.
Vous avez adopté une stratégie de développement agressive ?C’est vital en F1. On est parti d’une auto 2009 catastrophique et on remonte progressivement la pente. Pas à pas. Ici, on introduit le F-Duct qui fonctionne parfaitement. Et il y aura encore une dernière évolution pour Singapour. Notre but est clairement la 4e place des constructeurs.
Que vous manque-t-il pour rejoindre les trois top teams ?Cette année, on copie les autres; donc on est toujours derrière. Pour repasser devant, il faut innover, être créatif, trouver un truc. Pour cela, il faut une bonne équipe d’ingénieurs et pas mal de lobbying aussi auprès de la Fia. Il y a douze mois, aucun cerveau ne voulait venir chez nous car on était des losers. Aujourd’hui, je ne débaucherais peut-être pas encore Adrian Newey mais si on continue à surprendre, pourquoi pas ?
Comment avez-vous été accueilli en F1 ?Avec arrogance au début par le club des piranhas. On est en F1 tout de même ! Puis, après avoir écouté, j’ai montré que je pouvais mordre aussi. J’ai contré certaines de leurs décisions pour défendre les intérêts de mon équipe et gagné petit à petit le respect de mes collègues.
Avez-vous un contrat à longue durée ?Non, j’ai un gros ressort sous les fesses et je ne possède pas la télécommande. Je fais tout pour être encore là le 1er janvier prochain mais je n’ai aucune garantie.
Votre avis sur vos pilotes ?Robert Kubica est un futur champion du monde en puissance. La mise en confiance et les progrès du débutant Petrov sont flagrants. S’il continue sur sa lancée de Budapest en marquant des points régulièrement, je peux vous certifier à 100 % qu’il restera chez nous en 2011. Et sans apporter un seul euro.
Avez-vous eu des contacts avec Kimi Raikkonen ?Oui. Nous sommes intéressés au seul cas où il veut vraiment travailler avec nous. Et pas seulement de prendre 20 millions. Je ne sais pas s’il a vraiment envie de revenir en F1.
La marque Renault copropriétaire de l’écurie est-elle satisfaite de sa collaboration avec Genii ?Oui, Carlos Ghosn semble très content de la manière dont cela se passe. On a bien sûr réduit la facture mais on redonne l’image d’une écurie dynamique, avec un bien meilleur équipage, qui s’autofinance avec des partenaires. Le réseau est d’ailleurs très réactif et souhaite s’investir à nouveau.
Renault pourrait-il motoriser trois écuries en 2011 ?Oui. Il y a de grosses rumeurs pour qu’on équipe aussi une écurie verte. Et une autre en 2012. Cela permettrait de pouvoir négocier le placement d’un pilote Gravity si vous suivez mon regard. Pour autant que ce dernier démontre en cette fin de saison GP2 qu’il le mérite.
La Dernière Heure (Journal Belge)
Bon, le passage sur Alonso risque encore de faire un peu parler