FERNANDO ALONSO, qui vit une saison sportivement difficile chez Renault, se fait un devoir de relancer une écurie où il se sent bien.
Sa sérénité et sa patience surprennent plus d’un observateur. Car Fernando Alonso, depuis le début de saison, accepte son sort sans broncher. Et pourtant, la Renault R28 est loin d’être à la hauteur de son talent. Actuellement huitième au classement, le double champion du monde espagnol dissèque sa carrière et sait qu’elle ne tardera pas à rebondir.
Cette saison, n’avez-vous pas l’impression de jouer en Deuxième Division ?
(Sourire.) Non, je ne le dirai pas comme ça. Nous sommes en milieu de tableau, avec le risque de tomber en Deuxième Division… mais avec une qualification pour l’UEFA à notre portée, à condition de nous accrocher. Il est certain que ce n’est pas simple. Pour moi qui avais pris l’habitude de me battre pour le titre depuis pas mal d’années ce n’est pas une situation agréable. Enfin bon, il faut vivre avec. Ce n’est surtout pas le moment de lâcher prise. Au contraire, maintenant plus que jamais, il faut tout donner. J’ai le devoir d’arracher tout ce que je peux de cette voiture pour aider l’écurie à revenir au sommet.
Vous vous attendiez à mieux tout de même juste avant le début de saison ?
Oui, et c’est pour cela que je me suis senti frustré sur le coup, en Australie et en Malaisie. Nous pensions que la R 28 serait plus proche des BMW. Une fois que nous avons compris et fait le point, il n’était pas question de camper sur nos désillusions.
N’avez-vous pas le sentiment de perdre votre temps cette saison ?
Non, car je sais que la Formule 1 n’est pas une discipline facile.Même Michael Schumacher, même Ferrari ont traversé plusieurs années sans titre. Je vais en profiter pour enrichir mon expérience de pilote et m’améliorer dans des domaines où je n’avais pas eu l’occasion de le faire. L’an dernier, par exemple, je n’avais jamais connu la pression de la Q2 (la deuxième des trois phases qualificatives). Or il règne une sacrée tension quand on doit se battre au milieu d’un groupe très serré pour atteindre la Q3. Le tour parfait, il faut déjà le faire en Q2, sinon on est cuit. L’an dernier, c’était tellement facile : un bon tour en Q3 me valait une place sur la première ligne. Ce que je suis en train d’apprendre aujourd’hui me sera de toute manière utile à l’avenir, quoi qu’il arrive. Voyez : en Australie, je n’ai pas réussi à intégrer la Q3, mais la leçon m’a servi. Depuis, ce n’est plus arrivé.
Pourriez-vous vous contenter longtemps de courir sans gagner ?
(Rire.) C’est quand même mieux de gagner ! On peut être content d’une course qu’on n’a pas remportée. Il n’empêche, ce qui compte avant tout dans le sport, c’est la victoire.
Quand pensez-vous que Renault vous permettra de renouer avec elle ?
Je n’en sais rien. Avec l’entrée en vigueur du nouveau règlement technique, les cartes ont une chance d’être redistribuées l’an prochain. Tout le monde va repartir de zéro. Cela peut être une occasion pour Renault d’une remise à niveau. Ils ont perdu une année en 2007, et sans changement de règlement, je ne vois guère comment ils pourraient sortir de ce cycle.
Selon vous, que s’est-il passé chez Renault en 2007 ? Où se sont-ils égarés ?
D’après ce que je sais, ils ont perdu leur temps à tenter de résoudre un problème aérodynamique. Je crois que la soufflerie leur a donné des soucis. Et tout s’est enchainé. En résumé, disons que si les voitures gagnent en moyenne entre 10 et 15% d’adhérence chaque année, l’an passé Renault a gagné zéro. Et le déficit, on peut le trainer longtemps. La R28 en souffre encore, clairement. Alors, que faire ? Travailler. Travailler mieux que les autres, pour essayer de gagner 25% quand la concurrence, elle, aura visé 15%. Voilà, c’est la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Pas facile.
Pensez-vous que Renault a réellement les moyens de ses ambitions ? L’écurie peut-elle revenir au sommet tout en ayant pour priorité de faire des économies ?
Question difficile... Je pense, en fait je sais, que Renault a moins de personnel que d’autres équipes, moins de budget, et peut-être moins de moyens en termes d’équipement industriel, de soufflerie, d’outils de simulation, etc. Dans ce cas, évidemment, le défi est très, très gros… Mais après tout, Renault l’a déjà fait : nous avons gagné avec moins de moyens que les autres. O.K., le contexte a encore évolué depuis. Mais je crois qu’ils peuvent y arriver de nouveau. La F 1 n’est pas une science exacte ; il y a une part de… (il hésite) de magie, d’alchimie, de feeling. On ne sait jamais…
Où se situe l’actuel déficit de la R28 ?
C’est purement un problème d’adhérence. Nous n’avons pas de soucis d’équilibre. Un peu de sous-virage parfois, ou de survirage, que l’on corrige avec les réglages. En revanche, au freinage la voiture est instable, à l’accélération les pneus patinent, en ligne droite on est trop lent parce qu’on a trop de trainée aérodynamique, ou pas assez de puissance. Cela doit jouer sur 10% par rapport à la concurrence. Et ces 10%, si on les trouvait, nous ramèneraient dans le coup. Les gens bossent sans relâche dans nos usines… Seulement, nos adversaires ne chôment pas non plus !
Flavio Briatore a également dénoncé le moteur…
Je pense que le moteur n’est pas le meilleur du moment. Mais il ne lui manque pas grand-chose. Le gel des moteurs ne nous aide pas. Toutefois, dans la faible marge d’intervention qui subsiste, ils ont un programme de travail très agressif à Viry-Châtillon. Et si les ingénieurs arrivaient à grappiller un petit peu par-ci, un petit peu par-là, ce serait assez pour nous permettre de faire la différence par rapport à ce que nous avons actuellement.
Vous imaginez-vous rester avec Renault l’an prochain ?
(Dubitatif.) Difficile de dire quoi que ce soit pour l’instant… On n’a disputé que six courses. Il sera temps de décider vers la fin du Championnat. Évidemment, je vais me poser la question, parce que cette année n’est pas très intéressante pour moi. Pour l’instant, je me concentre sur l’auto. Il y a beaucoup à faire, et penser à autre chose me perturbe. Je me préoccuperai de mon avenir un peu plus tard.
Après une saison humainement difficile en 2007, et loin de toute pression désormais, vous rechargez au moins les batteries ?
Oui, et ça c’est le bon côté des choses. Cette année, je suis heureux dans mon équipe, heureux dans le paddock, heureux dans ma voiture. Je goûte la vie. J’en profite. O.K., je termine les Grands Prix huitième ou dixième, mais je sens une équipe autour de moi, qui se donne sans réserve pour apporter les modifications que je demande, qui fait vite pour me permettre de tourner le plus possible en piste. Oui, tout ça, c’est vraiment bien. Je me ressource, et l’an prochain, je serai plus fort que jamais.
Kimi Räikkönen semble ne pas vouloir s’éterniser en F 1. Qu’en pensez-vous ?
C’est une réflexion très personnelle… Parfois dans une carrière, on se dit qu’on en a assez, et qu’on va s’arrêter. Et puis, les choses évoluent, et finalement on éprouve le besoin de rester. C’est ce que je ressens pour ma part, aujourd’hui. Pourtant, il y a deux ans, je pensais vraiment que j’allais mettre un terme à ma carrière assez tôt ; j’avais remporté deux titres, et envie peut-être d’un nouveau défi, ailleurs qu’en F 1. Maintenant, je sais que je vais rester parce que je veux gagner. Je vais gagner à nouveau et prouver que je suis le meilleur.
En début de saison, vous donniez Kimi Räikkönen favori pour le titre. Et maintenant ?
Toujours lui. Des trois candidats, il est le meilleur, le plus complet. Très rapide, très calme, constant, une résistance totale à la pression. Je pense que le titre va se jouer entre lui, Massa et Hamilton. Mais, à mon avis, le meilleur de tous, c’est peut-être bien Kubica. Robert courait dans la même équipe que moi en kart ; pas dans la même catégorie car j’étais un peu plus âgé. Et il a toujours tout gagné. Oui, je crois que le meilleur, ici, dans ce paddock, c’est lui. Mais BMW n’est pas tout à fait prêt, cette année, à l’emmener vers le titre.