Dino Toso passe en revue les défis qu’il a fallu relever lors de la conception de la R28.
Dino, la saison 2007 n’a pas été simple pour ING Renault F1 Team. L’équipe a-t-elle compris et éradiqué les défauts de la R27 ?
Nous connaissons aujourd’hui les problèmes que nous avons rencontrés cette saison, mais cette analyse a réclamé un peu de temps car il s’agissait d’une combinaison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, même si nous savions que le passage de Michelin à Bridgestone allait s’accompagner de quelques modifications, nous avons sous-estimé le nombre de changements nécessaires. Nous ne disposions pas d’informations suffisantes à ce moment-là, tout simplement.
Quelles étaient les particularités de ces pneumatiques Bridgestone ?
Les enveloppes avant étaient très rigides et exigeaient un équilibre aérodynamique repoussé vers l’avant pour fonctionner correctement. Or, Renault avait toujours fait appel à une tradition de répartition « vers l’arrière ». Nous savions qu’il fallait changer cet équilibre, mais nous ignorions où placer le curseur. Lorsqu’il est devenu évident qu’il fallait déplacer cette balance encore davantage, nous avons été piégés : l’architecture de la R27 ne le permettait pas. Notre budget, notre logistique et notre stratégie indiquaient qu’il n’était pas réaliste de concevoir une nouvelle voiture en cours de saison.
Vous parliez d’une conjonction de facteurs…
Tout à fait. En plus de ce problème spécifique, nous avons réalisé qu’il existait un désaccord entre les données mesurées en soufflerie et celles qui nous mesurions sur la piste. Pour nous, il s’agissait d’une situation inédite : la corrélation entre la simulation et la réalité avait toujours été excellente jusque là. Enfin, la R26 était optimisée pour les Michelin, dont les caractéristiques étaient très différentes.
Avec le recul, comment analysez-vous cette situation ?
Je pense que nous avons vraiment joué de malchance pour que ces trois problèmes principaux nous frappent simultanément ! Certaines équipes chaussées de Michelin ont passé les Bridgestone pour la première fois et se sont montrées immédiatement très rapides. On ne peut rien faire contre ça.
Quelles mesures ont été prises pour revenir au meilleur niveau en 2008 ?
Tout d’abord, nous avons travaillé sur la corrélation entre les données de la soufflerie et celles de la piste. Cela a demandé du temps, mais le problème est résolu. Désormais, nous retrouverons en conditions réelles ce que nous estimons cet hiver. Ensuite, nous avons mis sur pied un programme agressif afin de retrouver la performance. Alors que Ferrari et McLaren disposent de monoplaces déjà équilibrées et ne doivent qu’améliorer leur efficacité, Renault doit corriger certains défauts. La voiture sera donc assez différente.
Est-il exact de dire que l’aérodynamique prend le pas sur tous les autres secteurs lorsqu’il s’agit de concevoir une monoplace rapide de nos jours ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec la spécification de V8 gelée et avec le boîtier électronique unique, il devient de plus en plus difficile de prendre l’avantage technique sur ses concurrents. De plus, côté mécanique, les recettes qui fonctionnent sont connues : il est assez difficile de se tromper dans ce domaine. On peut donc dire que ce qui fera la différence en 2008, ce sera certainement le secteur aérodynamique.
Nous entrons dans la quatrième année de stabilité du règlement au niveau aérodynamique. Est-ce que cela pose problème lorsqu’il faut chercher la performance ?
Pour moi, le challenge reste le même. La performance est plus difficile à trouver, c’est exact, mais la R28 montrera qu’il existe encore des possibilités d’innovation. S’ils fonctionnent, certains de ses détails seront certainement repris par tous les autres concurrents. Cela fait partie du jeu. Il est amusant, parfois, de regarder les monoplaces qui composent la grille de départ et de se dire « Tiens, c’est nous qui avions étrenné ça ! ». L’année dernière, certaines étaient même plus rapides que nous avec nos propres trouvailles ! La stabilité du règlement conduit au resserrement des performances : sans le passage aux pneumatiques uniques en 2007, les écarts auraient été très, très faibles.
Rien de tel qu’un changement de règlement, donc, pour prendre l’avantage !
Exact. En 2004, nous avions décidé de compromettre notre développement aérodynamique en fin de saison pour mieux nous concentrer sur 2005, année du dernier changement de réglementation. Ce pari avait payé mais, peu à peu, tout le monde était revenu au chronomètre car certaines solutions avaient été copiées rapidement. En 2009, il y aura une grosse modification de règlement dans le secteur aérodynamique. Il s’agira d’un challenge très intéressant pour tous les aérodynamiciens. Dès lors, faudra-t-il compromettre le développement aérodynamique à la fin de la saison 2008 pour prendre l’avantage avec la voiture 2009 ? Les équipes, cette saison, auront des décisions stratégiquement très importantes à prendre…
Renault F1 Team, de son côté, pourra compter sur l’entrée en service de son centre de CFD…
Ce centre ultra moderne sera opérationnel milieu 2008 et il se concentrera sur l’étude de la voiture 2009. Ce ne sera pas le moindre de nos atouts.
L’avenir s’appelle CFD !
L’été dernier, ING Renault F1 Team a annoncé la création d’un centre d’excellence spécialisé dans l’étude de la dynamique des fluides (CFD). Derrière cette dénomination un peu hermétique se dissimule la technologie du futur, dont bénéficieront à la fois les prochaines monoplaces de F1 frappées du Losange et les véhicules de l’Alliance Renault-Nissan.
Qu’est-ce que le CFD ?
Le Computational Fluid Dynamics est une technologie en voie de développement exponentiel dans le monde de la F1. Celle-ci permet en effet, grâce à des processeurs et à des logiciels sans cesse plus élaborés, de simuler, de modéliser et de représenter précisément l’interaction entre les monoplaces et l’air qu’elles déplacent lorsqu’elles sont en mouvement. Cet outil est principalement utilisé dans la conception des carrosseries et des appendices aérodynamiques, mais pas seulement. Il permet en effet d’étudier le comportement d’autres paramètres, tels que la dynamique des gaz d’échappement ou de l’oxygène dans la chambre de combustion du moteur.
Un apport stratégique pour la F1 et la série
La décision de mettre l’accent sur la CFD est née d’une réflexion logique menée pendant plusieurs mois par le groupe technique d’Enstone. « Au moment où de plus en plus de rivaux investissent dans une deuxième soufflerie, nous nous sommes interrogés. », confie Bob Bell, Directeur Technique Châssis ING Renault F1 Team. « A quoi bon dépenser des dizaines de millions de dollars dans un tel projet alors qu’une nouvelle technologie pouvait nous permettre d’arriver à de meilleurs résultats pour moitié moins cher ? » Le projet « centre d’excellence » venait de voir le jour. Le centre d’excellence Renault reposera sur un ordinateur de taille XXL, probablement l’un des 50 plus puissants du monde. Mais cette technologie sera un moyen d’atteindre des objectifs, pas une fin en soi. Renault va en effet développer des techniques d’exploitation, des logiciels, un support en ingénierie et des programmes d’intégration qui rendront ce projet unique. Enfin, depuis plusieurs années, l’aérodynamique constitue un chantier de collaboration légitime entre F1 et série. Le projet « CFD » a donc été conçu pour bénéficier à tout le groupe Renault. De manière naturelle, l’expertise unique que va acquérir Enstone dans le domaine de la CFD sera peu à peu applicable à tous les véhicules de l’Alliance Renault-Nissan.
L’interaction CFD-soufflerie
La technologie CFD développée à Enstone permettra à ces deux outils complémentaires de travailler en interaction. En Formule 1, la CFD était appréhendée comme un outil de support aux essais traditionnels menés en soufflerie : la simulation à l’aide de maquettes constituait le cœur du développement, la CFD étant utilisée pour filtrer les idées avant leur évaluation en soufflerie, voire pour valider les résultats qui y étaient enregistrés. Le nouveau centre de CFD de ING Renault F1 Team va modifier cette approche. Aidée par son solide réseau de partenaires et de fournisseurs, l’équipe va pouvoir repousser les limites de cette technologie et la transformer en un outil prospectif, capable de simuler les conditions de piste réelles avec un degré de précision encore jamais atteint, afin de mener un programme de développement aérodynamique accéléré. Cette technologie autorisera une extension du rôle de la CFD bien au-delà de son domaine d’activité actuel. Dès le milieu de la saison prochaine, le centre sera opérationnel. Cela signifie qu’il participera peut-être aux derniers développements de la monoplace 2008, mais qu’il sera surtout utilisé pour notre programme 2009. Bref, c’est déjà demain.
http://www.ing-renaultf1.com/fr/newsdesk/news/news.php?news=2008_en_ligne_de_mire_l_aerodynamique_chapitre_3_4-70172
un peu long mais trés interessant!