En décembre 2009, lorsque Gérard Lopez a acquis une part majoritaire de l'écurie Renaut F1 par l'entremise de sa société Genii Capital, son objectif n'était pas qu'une opération financière. Ce passionné de F1 voulait faire en sorte que la marque au losange revienne au plus haut niveau de la catégorie reine.
Au terme d'une première saison sous la direction de Lopez, l'équipe a terminé le championnat 2010 à la 5e place du classement des constructeurs ; un résultat très encourageant. Lors d'un entretien exclusif avec ESPNF1, l'entrepreneur basé au Luxembourg nous a fait fait part des ses ambitions.Group Lotus a mis un terme à l'entente qui permettait à Lotus Racing de courir sous son nom. Les rumeurs disent maintenant que vous êtes en discussion avec cette société en vue d'un accord de sponsorisation important qui verrait l'écurie Renault devenir Lotus-Renault. Il y a du vrai derrière ces histoires ?Gérard Lopez : Aux dernières nouvelles, l'équipe se nomme toujours Renault F1. Je vais vous donner une réponse très claire et honnête. Des discussions sont en cours depuis un certain temps déjà pour déterminer qui pourrait être un soi-disant sponsor pour l'équipe. Au moins deux groupes ont montré un intérêt pour devenir un sponsor d'importance et plusieurs autres pour devenir partenaire minoritaire dans l'équipe. Et c'est tout.
Toute la discussion avec Group Lotus provient d'un angle complètement différent qui n'était pas relié à la F1. Nous connaissons très bien les gens chez Proton et chez Group Lotus (filiale de Proton). Cela fait 15 mois que nous parlons avec Group Lotus en vue d'un investissement de leur part. Ce qui est amusant, c'est que nous discutons avec Group Lotus depuis plus d'un an sur une affaire indépendante de la Formule 1, mais le fait qu'ils aient cessé de collaborer avec 1Malaysia Racing (le véritable nom de l'écurie Lotus Racing) a mené vers deux situations.
Premièrement, les gens ont assumé que quelque chose se tramait en coulisses. Deuxièmement, nous sommes véritablement en contact avec eux et nous sommes à évaluer si le fait de collaborer avec Lotus et Proton sous un même toit aurait du sens, en F1 mais également ailleurs. Alors les histoires proviennent de cela. Rien n'est signé et rien n'est fait. Nous regardons plusieurs options. Oui, il y a eu des discussions, mais elles sont beaucoup plus larges que celles touchant la F1. Il y a de bonnes chances pour qu'un accord ait lieu entre Group Lotus, Genii Capital et Proton, mais nous ne sommes pas encore rendus là.
Il y a aussi une autre rumeur à l'effet que Renault souhaite vendre ses parts dans l'équipe, mais elle est fausse. La vérité, c'est que nous avons approché Renault pour voir s'ils étaient heureux et s'ils considéraient une autre forme de partenariat. La réponse, c'est qu'ils sont parfaitement heureux de la façon dont les choses se sont déroulées.
On dit aussi que dans le but de combler des soucis d'entrée de fonds, vous avez demandé une avance sur les revenus commerciaux liés à la télévsion. Est-ce vrai ?GL : Non. La question de l'avance, ce n'était pas du tout cela. L'équipe n'avait aucun problème budgétaire, les gens oublient cela. Mais lors du dernier test (pré-saison) à Barcelone, la voiture avait un retard atterrant de 2,1 ou 2,2 secondes. Pas sur les leaders, mais sur le deuxième ou troisième palier, alors nous étions très loin. À tel point que plusieurs observateurs s'attendaient à nous voir en compétition avec les nouvelles écuries. Certainement avec Toro Rosso et Force India, que je respecte mais qui ne sont pas liées à un grand constructeur automobile.
Nous aurions pu faire de l'argent en réduisant la taille de l'équipe à celle d'une équipe privée, comme l'a fait Peter Sauber, ce qui est probablement la seule méthode correcte à adopter pour une écurie privée. C'est une façon de faire et elle est tout à fait acceptable. Mais pour nous, essentiellement, cela aurait signifié que nous acceptions que la voiture soit lente alors qu'elle portait le nom d'un constructeur. Nous ne sommes pas ici pour cela, ni Renault. Nous aurions préféré être en Formule 1 et vendre l'équipe après une semaine plutôt qu'accepter d'être non compétitifs.
Alors ce que nous avons fait, et cela s'est fait au niveau du conseil d'administration et avec l'accord des actionnaires, c'est-à-dire Renault et Genii, c'est de faire trois choses. Premièrement, développer la voiture 2010 de manière très agressive. Deuxièmement, investir dans l'équipe plutôt que congédier du personnel, ce qui a fait en sorte que nous avons dépassé la barre des 500 employés. Troisièmement, parallèlement, développer une autre voiture pour 2011.
Tout compris, nous sommes très, très loin du budget d'une écurie privée. L'entente, c'est que Renault fournit les moteurs mais n'est pas responsable des finances de l'équipe. Alors vous avez un budget, celui établi à l'avance, et un deuxième budget, celui des investissements supplémentaires que tout le monde a autorisé.
Toute la question des revenus de la télévision n'était pas une question d'entrée de fonds. De nouveaux sponsors arrivaient au cours du mois, et une autre proposition nous avait été offerte mais nous ne l'avons pas acceptée. Il y a toujours de la jalousie dans le sport et je crois que certaines personnes souhaitaient peut-être que l'équipe se retrouve en moins bonne posture. Nous aurions pu facilement congédier 170 ou 180 personnes et faire de l'argent avec l'équipe grâce aux sponsors, mais nous n'aurions pas couru là où nous le souhaitions.
Comment se porte le développement en vue de la saison prochaine ?GL : Puisque nous avons débuté très tôt, j'ai de très grands espoirs. Nous n'avons jamais cessé le développement de la nouvelle voiture. Nous avons ralenti le rythme un peu au cours des dernières épreuves, mais comme vous avez pu le constater, notre voiture actuelle était toujours très rapide à Abou Dhabi face aux Ferrari et aux McLaren. Le fait de ne jamais arrêter le développement de la voiture 2010 a eu deux bénéfices.
Le premier, c'est que la culture au sein de l'équipe en termes de développement, c'est d'être agressif peu importe d'où nous partons. Il faut continuer à développer la voiture de manière agressive même si elle est déjà très bonne. L'autre bénéfice provient d'un des processus déjà instaurés à l'usine par la direction précédente de l'écurie Renault : nous sommes parmi les plus efficaces en termes de temps de réponse entre l'usine et la piste. Nous sommes très bons quand il faut faire évoluer la voiture et c'est quelque chose que nous pourrons transposer en 2011. Nous donnons carte blanche à l'équipe pour qu'elle soit innovatrice, du moins à notre façon de voir les choses, ce qui est courageux. Nous espérons voir les résultats en piste.
Renault F1 souhaite discuter avec Vitaly Petrov en vue de l'an prochain. Allez-vous bientôt confirmer Vitaly Petrov pour l'an prochain ? Comment résumez-vous sa saison ?GL : Rien n'est fait. À Monza, nous avons confirmé Robert (Kubica) pour les deux prochaines années. En ce qui concerne Vitaly, autant nous sommes heureux de l'ensemble de la saison, autant il y a eu de la déception sur certaines des dernières courses. Je pense que ses performances à Abou Dhabi l'ont grandement réhabilité à nos yeux. Les gens ont tendance à oublier à quel point il est une étonnamment bonne recrue. Notre seule critique à son égard, critique qui est toujours valable, n'a pas trait à sa vitesse pure mais à sa capacité à réussir des week-ends pleins où il est concentré de bout en bout. S'il a bien démontré une chose à Abou Dhabi c'est que s'il veut, il peut.
Il n'y a aucune raison pour que Vitaly ne soit pas parmi les cinq ou six meilleurs pilotes au cours de sa carrière, mais nous n'avons pas encore pris notre décision le concernant. Abou Dhabi a beaucoup fait pour que nous reconsidérions sa position et nous voudrions être en position de le prolonger, mais il est à l'étranger. Nous devons nous asseoir avec lui, le regarder dans les yeux, et voir s'il peut refaire ce qu'il a fait pendant la course à Abou Dhabi durant toute la saison, en essais libres, en qualifications et en course.
La décision sera probablement prise lors des deux premières semaines de décembre. Éric Boullier (patron de Renault F1) portera la recommandation de l'équipe. Ce n'est certainement pas une question financière parce qu'il y a beaucoup de pilotes qui sont prêts à payer cher pour conduire, et beaucoup plus que ce que Vitaly pourrait amener en sponsoring.
Vitaly a de l'intérêt parce qu'il est Russe et que nous avons des affaires là-bas. Alors oui, nous apprécions l'idée de promouvoir un champion local en Russie mais notre décision se basera sur ses compétences de pilote. Au final, nous ferons ce que nous avons fait l'année dernière et notre décision se basera sur des pilotes d'expérience et des jeunes. Ce sera essentiellement Vitaly face aux autres.
Honnêtement, au plan de la pure conduite, il se comporte vraiment bien. Je connais beaucoup de pilotes et certains d'entre eux sont de très bons amis, mais je ne connais pas un 'rookie' ou même un pilote dans sa deuxième saison qui aurait pu contenir (Fernando) Alonso pendant 40 tours alors qu'il est en lutte pour le titre mondial. Et surtout faire cela sans jamais être agressif mais en pilotant avec constance et rapidité. Je crois qu'il a été le meilleur des débutants et que, à l'inverse des autres 'rookies', il n'avait jamais testé de F1. Quelqu'un comme Nico Hülkenberg, qui est un grand pilote, avait dans les pattes quelque 8000 ou 9000 km d'essais. Lewis Hamilton en avait 22 000 avant d'arriver en F1 et ce sont tous des gens qui ont commencé en karting, fait la Formula Ford ou BMW.
Vitaly a en quelque sorte sauté dans un train en marche, alors c'est remarquable. C'est juste une question d'expérience. Si l'équipe dit qu'il y a des problèmes ne pouvant pas être réglés, Vitaly ne sera pas dans la voiture. C'est bien parti pour lui mais ce ne sera pas finalisé avant que nous nous soyons assis avec lui et que nous obtenions des réponses sur les choses que nous n'avons pas aimées. Si ses réponses nous conviennent, il aura le volant l'an prochain.
Robert Kubica, toujours remarquable, a fait le bonheur de son équipe. Vous devez être ravi d'avoir un des pilotes les plus en demande dans votre équipe. Qu'a fait Robert Kubica pour vous cette saison ?GL : Donnez et vous recevrez. J'ai connu Robert alors qu'il était pilote essayeur chez BMW Sauber et au cours de ses trois années avec cette écurie. BMW était une bonne équipe à l'époque mais je ne crois pas qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Nous avons un style plutôt anglo-méditerranéen chez Renault F1 et je crois que cela convient mieux à son caractère. Il n'a pas la pression habituelle de bien faire pour les sponsors. Il aime piloter en rallye ; Renault et nous le soutenons beaucoup pour qu'il en fasse. Nous le comprenons et il nous comprend. Le résultat, lorsque nous lui demandons de faire quelque chose, que ce soit sur la piste ou ailleurs, c'est qu'il le fait habituellement avec un sourire. Nous sommes heureux de l'avoir à bord, non seulement pour ses qualités de pilote mais aussi pour ses qualités humaines.
Et je crois qu'il a énormément maturé comme pilote cette année. Il est dans une équipe qui s'est fait dire de l'écouter, alors il a eu l'opportunité de devenir un pilote différent. Pas seulement un pilote rapide, mais quelqu'un capable de travailler de manière efficace à l'extérieur de la voiture et capable d'être entendu. Nous lui sommes très redevables mais lui aussi, car nous lui avons fait confiance. Il a fait un travail phénoménal. Nous sommes heureux de compter sur lui. Je l'ai dit avant le début de la saison, il est définitivement un champion en devenir. Espérons que ce le soit avec nous, mais sinon, ce sera avec quelqu'un d'autre. Il a certainement tout ce qu'il faut.
Comment voyez-vous l'apport de Pirelli ?GL : Pour l'instant, c'est trop tôt pour dire. Nous n'avons pas encore testé les gommes qui seront disponibles l'an prochain. Ce que j'ai compris, c'est que les pneus se dégradent très rapidement. Je crois que c'est par choix, pour que les pneus fassent partie du spectacle de la course. Nous savons à quoi peuvent mener des pneus qui s'usent plutôt rapidement, nous avons connu des courses très excitantes cette saison pour cette raison.
Notre équipe a noté le fait que l'usure des pneus sera très importante. Je dirais que nous avons un avantage sur quelques-unes des autres écuries puisque notre équipe a déjà vécu un passage vers des gommes complètement différentes il y a trois ans. Elle est passée des pneus Michelin aux Bridgestone alors que d'autres chaussaient déjà des Bridgestone. En quatre ans, il s'agira du troisième nouveau type de pneu pour l'équipe, alors nous avons une certaine expérience en la matière.
Cependant, il y aura également des changements au niveau de l'aérodynamique, du diffuseur, etc, qui s'ajoutent au changement de pneus. Les équations seront nouvelles pour tout le monde. Je crois honnêtement que nous nous en sortirons très bien et que la performance des pneus sera très satisfaisante. Mais il est encore trop tôt pour savoir ce que nous aurons à notre disposition.