Interview d'Abiteboul :
Cyril Abiteboul : « Fernando Alonso, c'est un moteur »
Le patron de l'écurie Renault explique son choix d'avoir pris Alonso pour remplacer Ricciardo en 2021. Une décision sentimentale mais pas que...
Pourquoi avoir choisi Fernando Alonso ?C'est un choix qui est à la fois émotionnel et rationnel. Les deux titres (2005 et 2006) qu'il a gagnés l'ont été avec nous. Et ce sont également nos deux titres (Renault également champion en 2005 et 2006). Depuis, quinze ans se sont passés. Fernando a vécu beaucoup de choses et nous aussi. Ces émotions, nous avons tous envie de les vivre à nouveau ensemble. Lui a progressé et nous, nous sommes en train de le faire.
Prendre un pilote de presque 40 ans, sans F1 depuis deux ans, n'est-ce pas un risque dans votre projet qui se construit sur le long terme ?Fernando s'est oxygéné. Il en avait marre de la F1. Il souhaitait s'aérer, ce qu'il a fait et a, du coup, pris la mesure de ce que la F1 représentait pour lui et en général. Il voulait revenir mais il a pris sa décision après une analyse froide et lucide de ce que nous pouvions lui offrir, de notre équipe, d'où nous souhaitons aller. C'est un choix commun pour le projet qu'on partage. Nous connaissons les risques mais on souhaite que ce come-back se déroule bien.
Depuis votre première aventure victorieuse avec Alonso, le pilote talentueux est aussi devenu un politique qu'on suspectait d'être toxique pour les écuries où il roulait. Avez-vous peur que votre équipe en souffre aussi ?Non. Il a fait un bout de chemin depuis. Et puis, les équipes ont toujours une responsabilité dans la manière dont elles gèrent leurs pilotes. Et j'emploie à dessein le pluriel car dans une équipe il y en a deux. Pas question de critiquer les équipes dans lesquelles Fernando est passé, je veux juste insister sur la mienne et la manière dont nous allons gérer les choses.
Esteban Ocon pourrait craindre quelque chose ?Non, c'est ce que je dis. Chez Renault, les deux pilotes sont importants. Esteban fait partie de notre projet. Et je ne pense sincèrement pas que Fernando est toxique. La compétition, elle, est toxique. J'espère qu'après ce break, Fernando ne le sera pas.
Qu'en a pensé Ocon ? Avez-vous dû le rassurer ?Esteban a été complètement derrière cette idée. Pour lui, c'est un étalon exceptionnel d'avoir la chance de se mesurer à un pilote de la trempe d'Alonso. Il avait déjà Ricciardo cette année mais Fernando, c'est exceptionnel et ça le motive énormément, d'autant que je lui ai assuré que notre équipe sera une équipe de deux pilotes.
Comment lui promettre cette égalité de traitement alors qu'il sera au côté d'un champion du monde ?Je ne sais pas quoi vous répondre. L'équité a toujours été un pilier de notre engagement en F1. Aujourd'hui, on se fait battre par McLaren à qui nous fournissons le moteur. Jamais nous n'avons transigé sur la qualité de nos propulseurs. Ils nous battent, très bien. On va bosser sur le châssis pour repasser devant.
Comment se sont passées les négociations ? Est-ce lui qui est venu vers vous ?Le contact n'a jamais été rompu avec Fernando. Il a toujours été attentif à notre organisation. Il a des doutes sur notre organisation et a été content des changements qui sont intervenus ces derniers mois. Si j'ai eu besoin de le convaincre ? Oui mais il connaît la F1. Il sait qu'en 2022, les règlements vont permettre une F1 plus compétitive. Fernando souhaite cette F1 plus humaine et moins chère où l'on peut plus se battre.
Pour le convaincre, lui avez-vous promis des victoires, qui sont le moteur d'Alonso ?Gagner, je ne peux pas le promettre et d'ailleurs il le sait. Comme je vous l'ai dit, il connaît la réglementation. En 2021, il sait que la voiture sera la même que celle de cette année. Il a d'ailleurs été rassuré de nos progrès cet hiver et se projette déjà en 2022. Il nous pousse là-dedans et le 1er janvier, il sera déterminé pour qu'on soit prêts dans deux ans. Vous savez qu'une fois au volant, Fernando veut toujours se battre à l'avant et fera tout pour obtenir le meilleur.
Que va-t-il vous apporter ?Alonso, c'est un moteur. Renault est en F1 depuis 43 ans mais n'oubliez pas que nous sommes de retour en tant qu'écurie depuis 2016 seulement. Nous reconstituons les troupes à Enstone en embauchant. Et tous les jeunes qui arrivent à l'usine, ce sont des gamins qui ont découvert la F1 au travers de l'épopée de Fernando, qui devenait champion avec Renault. On a besoin de construire un esprit d'équipe et Alonso peut y aider. La pugnacité qu'il incarne au volant est ce qui peut nous arriver de mieux.
Y avait-il d'autres choix ?Oui mais il y avait un calendrier. Impossible pour nous d'attendre le mois de décembre et la fin des championnats de F2 pour savoir si nos jeunes pilotes (le Danois Lundgaard ou le Chinois Zhou), en qui nous croyons, ont les points nécessaires (de la superlicence) pour aller en F1. Cela ne remet pas en cause notre académie. C'était trop tard.
Et Vettel, il y a eu des contacts ?Ce sont le calendrier et la motivation qui nous ont décidés à prendre Alonso. Choisir c'est renoncer.
Lequipe.fr